Longtemps réservé à une élite, le sur-mesure se démocratise et s’applique désormais à tous les domaines de la consommation. Décryptage d’une tendance durable.
Dessiner sa propre paire de basket Nike ou Adidas, choisir la couleur du cuir et la longueur des anses de son sac Longchamp, décider des ingrédients qui composeront son sandwich chez Subway ou faire graver son nom sur la coque de son iPhone… On ne compte plus les exemples de services personnalisés, « à la carte ». Réservé aux happy few dans les années 1980, le sur-mesure était dédié à une élite qui faisait faire son costume chez le tailleur. Un luxe devenu accessible à tous aujourd’hui. Le sur-mesure s’applique maintenant à tous les domaines de la consommation : automobile, fooding, high-tech et beauté !
Bye bye, fashion victims… Bonjour consomm’acteurs!
Mais depuis quand s’impose ce phénomène de société ? « À la fin des années 1990, une tendance naît dans la rue : la customisation. On achète des fringues vintage qu’on mixe avec des pièces neuves, on personnalise avec des badges, des strass, des épingles. Les jeunes tribus veulent se démarquer. Punks, gothiques ou surfers personnalisent leurs vêtements mainstream pour mieux se les approprier », explique Émilie Coutant, sociologue consultante. Une attitude nouvelle qui n’échappe pas aux marques.
Peu à peu, chacune lance son service sur mesure. Sur Internet ou dans la rue, dans un premier temps, éclosent les échoppes de tee-shirts personnalisables à l’infini. « Aujourd’hui, c’est devenu une tendance majeure, générale et durable. Les marques ont compris que le consommateur a besoin de se sentir unique. Si bien, que désormais, même un objet commun comme l’iPhone peut se personnaliser par une coque à motif, couleur ou gravure », poursuit l’experte. Pas étonnant que les fondements de la mode aient changé. Les fashion victims des années 1980-1990 ont disparu, le rapport à la mode est plus réfléchi.
« On n’est plus dans un phénomène de tendance autorégulée. Aujourd’hui, être à la mode, c’est se façonner son propre style. Et avoir du style, ce n’est pas suivre le mouvement, mais se démarquer et exprimer sa personnalité au travers de son look », souligne Émilie Coutant. On assiste alors à un parcours initiatique des modeuses, qui peu à peu « bricolent » une plus belle image d’elles-mêmes. Cela s’étend jusqu’à la voiture. Les fabricants automobiles ne s’y sont pas trompés en proposant des modèles customisables.
Depuis les années 2000, l’offre sur mesure se démocratise et ne concerne plus seulement les élites ou les tribus marginales. Elle répond à une demande générale. « Avec l’explosion d’Internet, les marques développent des sites où le consommateur devient un consomm’acteur. On est dans la même logique que le travail d’e-réputation via les réseaux sociaux. On veut sortir de l’anonymat, du mainstream, construire quelque chose qui ne correspond qu’à soi », termine la sociologue. Pris comme un acteur à part entière, dont on respecte la singularité, le consommateur n’est plus cet être passif à qui on dit ce qu’il doit acheter. « Il est considéré comme un “amateur”, qui possède une certaine expertise dans le domaine qu’il affectionne », renchérit Pierre Bisseuil, directeur de recherche au sein du pôle Recherche et Prospective chez Peclers, agence de conseils en tendances, style et innovation.
Ultraservice, expertise et beauté participative
Sortir de la masse, se démarquer, être reconnu comme une identité propre avec ses différences et ses particularités… Tel est donc le désir du client. Et pour y répondre, c’est l’offre qui s’adapte à ses désirs, et plus l’inverse. Mais outre le fait de vendre, qu’y gagnent les marques ? « L’intérêt de cette tendance participative est d’identifier et reconnaître nos clients, connaître leurs attentes. Depuis une dizaine d’années, cette relation plus authentique s’affirme au détriment de la standardisation », explique Claire Groult, directrice de la Maison de Beauté Carita.
Et dans cette démarche, s’il est un territoire où la reconnaissance des différences s’impose, c’est bien la beauté et le bien-être. « Il y a une vraie notion de beauté participative, qui se joue sur les réseaux sociaux et les blogs », analyse Pierre Bisseuil. En 2013, les entreprises doivent apporter un service en plus à leurs clients. Nous entrons dans l’ère de l’« ultraservice ». Parmi les récents exemples, le Xbox Live de L’Oréal qui décline conseils, tutoriels, vidéos… En créant du brand content, les marques établissent alors un lien interactif avec le consommateur. Par des applications de téléphonie mobile ou sur leur site dédié, les clients peuvent essayer les produits.
« En plus de motiver l’acte d’achat, cela crée un dialogue, une table ronde autour des produits. Cette intimité avec le consommateur permettra aux marques de savoir ce qui lui correspond le mieux, quelles sont ses attentes », poursuit Pierre Bisseuil. Et dans le salon ? Proposer un service sur mesure demeure un atout séduction qui attirera une nouvelle clientèle. « Dans cette dynamique, on parle de beauté scientifique, basée sur un diagnostic réalisé grâce à de nouveaux instruments, souligne Pierre Bisseuil. Ces outils d’expertise, appuyés par une analyse de l’ADN, du flux sanguin, de la peau ou des cheveux, rassurent le consommateur. »
Le coiffeur joue le rôle d’expert qui va délivrer l’ordonnance de soins la plus adaptée aux cheveux de son client, selon un protocole très scientifique. Et si on n’a pas les moyens d’investir dans une telle machine ? Surfez sur la tendance du Do it Yourself ! « Rowenta a lancé récemment l’appareil Naturalis qui permet de mélanger et fabriquer soi-même sa cosmétique », note Pierre Bisseuil. Le consommateur joue à l’apprenti-chimiste pour créer son soin sur mesure. Les exemples fusent dans la tête de l’expert…
Par Julie de los Rios et Virginie de Rocquigny