Après des siècles de « pignon sur rue », de plus en plus de coiffeurs optent pour le salon en appartement. Dans une société où nous avons besoin de nous sentir unique et privilégié, l’appartement-salon semble une réponse idéale. Tendance éphémère ou vrai business à exploiter ?
Il est difficile d’établir l’acte de naissance du salon en appartement. Si on situe ses origines au début du siècle dernier, il connaît un véritable renouveau aux États-Unis dans les années 1980.
L’heure est au cocooning et le consommateur se replie chez lui, dans sa bulle sans exprimer le désir d’en sortir. Le boom du Web ne fera qu’accentuer cette posture qui dure depuis trente ans.
En 1988, le sociologue Michel Maffesoli introduit la notion de « néo-tribu » (Le temps des tribus : le déclin de l’individualisme dans les sociétés postmodernes). Il utilise le terme pour désigner un groupe d’initiés qui se réunissent autour de passions communes ( religieuses , culturelles ou idéologiques). Ils éprouvent des émotions autour d’images comme des « totems de rassemblement ». Pour exemple, la musique métal qui unit les amateurs.
Ces caractéristiques de la société post-moderne sont propices à la création de salons en appartement. Le consommateur a besoin de se protéger du regard de l’autre. Il ne veut plus être exposé en vitrine sous le regard des passants. Mais il a aussi la nécessité de se démarquer quand le « marketing de tribu » tend à le globaliser. Le succès du vintage est un signe de ce désir d’être reconnu en tant qu’individu unique.
Celui des salons en appartements, où mesdames et messieurs se sentent comme chez eux et privilégiés, aussi. L’idée est séduisante : ouvrir un salon où la clientèle se bousculera… devant la porte de l’immeuble !
Ces salons-appartements investissent donc les étages de vieux bâtiments et l’ambiance est souvent bien plus chaleureuse que le décor des grandes enseignes. Après la dimension quantitative propre au modernisme, le post-modernisme privilégie le qualitatif dans les objets de la vie courante comme pour soi-même. Le consommateur ne veut plus faire partie d’une masse et entend mettre de l’art dans ses démarches quotidiennes.
Attirer la cliente sans vitrine : un travail à temps plein
Pourtant, la tâche est périlleuse. La réglementation est la même que pour un salon classique et les normes de sécurité doivent être respectées comme dans tout établissement public. Mais surtout, le coiffeur en étage ou caché derrière une porte-cochère, perd de ce fait la cliente spontanée qui s’arrête un beau matin devant sa vitrine avant de pousser la porte de son salon.
« On ne peut pas s’installer en appartement si on n’a pas un fond de clientèle », explique Dominic, précurseur en la matière. Après des expériences en salons classiques, il ouvre en 2000 L’Appartement à Bordeaux avec un ancien associé. 160 m2 au premier étage. Il sait qu’il peut compter sur la fi délité de sa clientèle.
Ensuite, le bouche-à-oreille a fait le travail. « On a eu de plus en plus de rendez-vous. Toutefois, on n’a pas le droit à l’erreur. Si une cliente est insatisfaite, elle le dira à ses amies. » Même constat chez Sylvie Coudray qui a inauguré en 2003 son premier salon en appartement à Paris.
Cette coiffeuse de studio a misé sur son réseau – des stylistes, des journalistes et des célébrités – pour faire connaître le lieu. Aujourd’hui, des femmes venues des quatre coins de France et même de l’étranger prennent rendez-vous dans son Atelier parisien. Mais le concept n’est pas réservé aux coiffeurs-stars.
Seulement, un artisan moins connu va devoir redoubler d’efforts pour attirer la cliente. « Je me baladais à New York, quand une jeune femme m’a accostée. Elle me parle d’une offre exceptionnelle : 50 dollars pour coiffure, coupe, shampooing, manucure, soin du visage et massage ! Elle me montre un petit carton rose. Je suis hyper-sceptique, est-ce une arnaque ? Elle me convainc. J’appelle donc le salon. Il est sur la 5e Avenue, mais personne ne peut le savoir ! », se souvient Noëlie. Mais rassurez-vous !
Avant d’envisager de payer un homme-sandwich ou un rabatteur en bas de l’immeuble, il y a d’autres solutions. Il va falloir soigner vos relations publiques et développer votre réseau. Et ce n’est pas une mince affaire. Pour compenser la perte de clients spontanés, vous devez concentrer votre énergie pour faire parler de votre salon.
Rédiger un dossier de presse, organiser des journées portes ouvertes, développer un site Internet – une vitrine virtuelle – ou établir des partenariats stratégiques avec les autres commerçants du quartier. « Pour étoffer notre clientèle et faire découvrir le salon, nous avons animé des shows et participé à des soirées dans les lieux branchés de Bordeaux », précise Dominic.
Vous l’aurez bien compris : s’installer à l’étage, sans aucune visibilité sur la rue, demande beaucoup de travail. RP, événementiel, réseaux sociaux et communication sont essentiels pour grandir. Mais ces efforts sont minimes face aux avantages que représentent les salons en appartement.
Le vrai luxe
Le premier avantage semble bien être le prix du loyer ! Ces dernières années, les tarifs pratiqués dans le domaine de la coiffure sont loin d’avoir évolué aussi rapidement que le coût des loyers, notamment dans les grandes agglomérations. Les charges sont désormais tellement élevées que les salons seront appelés à s’éloigner de plus en plus des centres-villes.
Le concept d’appartement permet donc soit de faire une réelle économie sur le loyer soit de profiter de surfaces beaucoup plus vastes pour un coût équivalent. Tout en misant davantage sur la qualité de l’accueil, de la décoration et du soin apporté aux clients…
La surface alors représente bien un « vrai » luxe ! Elle permet une grande liberté d’agencement du salon et apporte un confort supplémentaire pour les coiffeurs comme pour les clients. Ce gain d’espace permet également de proposer des prestations différentes… Dans le salon L’Appart à Paris, par exemple, Sabrina et Logan reçoivent des clients qui pourront profiter d’une bibliothèque, qui auront le plaisir d’écouter de la musique, de discuter, « de se sentir comme à la maison », nous dit Sabrina Gallier.
Prestations personnalisées
La notion de cocoon est essentielle, les appartements sont souvent cosy, élégants. Nombre d’entre eux misent sur une décoration originale, souvent sur un ton « vintage », qui tranche avec le formalisme habituel de la plupart des salons.
Les clients ont ainsi le sentiment de se trouver dans un lieu unique, de faire partie des « happy few », heureux mortels qui profitent du luxe de prestations personnalisées, à des prix aujourd’hui accessibles, souvent les mêmes qu’en salon sur rue. Le contact est différent, plus proche, plus chaleureux…
Le client se rend chez son coiffeur pour y passer un moment de plaisir, fait de complicité et d’échange, en toute discrétion ! Cette nouvelle vision du métier correspond aux attentes et aux exigences de la clientèle d’aujourd’hui, qui va facilement rechercher sur Internet les nouveautés, les dernières tendances…
Le Web marketing doit donc faire partie désormais des techniques que les coiffeurs doivent maîtriser pour développer et fidéliser une clientèle. Pour Alexandre Colomb, de L’Appartement à Grenoble, Internet a permis d’augmenter considérablement l’affl uence de son salon et 15 % de ses clients sont drainés directement par le Web.
Mais cette clientèle est volatile et exigeante. Elle ne permet aucune baisse de régime. La moindre faiblesse dans la qualité de services ou de prestation se paie « cash ». Ce qui demande d’être toujours au top, de s’adapter en permanence, d’être à l’affût…
Il faut à la fois se remettre en cause constamment et trouver de nouveaux relais pour attirer et fidéliser… Inconvénient pour certains, avantage pour d’autres, car la recherche du mieux permet de se surpasser et de faire preuve de créativité.
Pour la plupart des coiffeurs en appartement, la principale raison de ce choix est de réussir à exercer cette profession/passion dans des conditions « idéales », en dépit des prix prohibitifs des fonds de commerce.
L’appartement est une tendance de fond, qui attire de plus en plus de coiffeurs et de stylistes, avides d’une plus grande liberté et animés d’une autre vision du métier. Quand la nécessité économique rejoint les nouveaux modes de consommation et attentes des clients et l’envie de certains coiffeurs de donner un nouveau visage à leur profession…