Le cheveu subit des traitements de tout genre. Mais ces multiples tournures ne sont pas qu’esthétiques. La chevelure, moyen de communication à part entière, fonctionne aussi comme symbole. Ses coiffures comme sa perte sont lourdes de sens, collectifs et individuels.
Le cheveu, comme signe d’appartenance à un groupe
« Il n’y a pas de règle générale pour définir l’évolution des coiffures, explique Christian Bromberger, auteur de Trichologiques, une anthropologie des cheveux et des poils (Bayard). Mais les différentes façons d’accommoder les cheveux jouent comme d’excellents révélateurs des sociétés » En fonction du type d’organisation des États, des relations entre les sexes, du degré de liberté des individus, des tendances, les modes capillaires nous positionnent chacun au sein du collectif, vis-à-vis des autres, et vis-à-vis de nous-mêmes.
Exemple, le punk signifie sa révolte contre la société par sa crête colorée, le moine reflète l’ascèse par sa coupe stricte et humble, la militante des Black Panters, Angela Davis, affirme son engagement par sa coupe afro. Le cheveu exprime un très large nombre de significations. Sa matière, très plastique, et qui repousse, se plie à de multiples possibilités de coiffures. Le sens donné dépend de la culture et de l’histoire de la société auquel l’individu concerné appartient. « En Iran par exemple, comme pour les religions musulmanes et judaïques, le cheveu des femmes incarne la tentation, d’où la nécessité de le voiler », poursuit l’anthropologue.
Le cheveu comme expression de soi
Le cheveu scande aussi les différentes étapes de la vie, comme pour la tribu des Boranas, en Afrique de l’Est, dans laquelle, en fonction des âges (8 ans, 16 ans, âge de se marier, de devenir chef, vieux sage), une coiffure différente s’impose à tous.
Dans nos sociétés modernes, l’individu-roi s’exprime et s’accoutre plus ou moins comme il le souhaite. Les statuts sont moins différenciés physiquement, mais les coiffures incarnent une expression de soi significative, et non purement esthétique. « Souvent, les femmes qui accèdent au pouvoir se coupent les cheveux courts, précise Christian Bromberger, comme pour se débarrasser de l’image de séduction que renvoient les cheveux longs. »
Le soin donné à la chevelure en dit long, donc, autant sur une société que sur un individu donné. Et la perte du cheveu engage l’intégrité même de la personne. D’où la force de son impact symbolique.
Évidemment, le sens n’est pas le même selon que la perte est subie ou choisie. L’homme peut décider en effet de se couper les cheveux pour diverses raisons, qui varient selon l’histoire, la société et les codes socioculturels en cours. Si la symbolique est très comparable pour les deux sexes, elle est plus marquée pour les femmes. Sacrifier sa chevelure, signe de féminité et de séduction, peut être une revendication. « Souvenons-nous de la Garçonne qui a voulu se libérer, marquer son indépendance, devenir l’égale de l’homme. Il y avait dans ce geste un acte de révolte », explique la psychanalyste et dermatologue Sylvie Consoli. La perte peut aussi avoir une fonction initiatique. En Grèce antique, la tonte du jeune homme marque le passage à l’âge adulte.
Le traumatisme de la perte
« La chute capillaire, involontaire, est toutefois associée à la peur de perdre quelque chose. Peur de la mort, stress, peur affective, peur émotionnelle ou deuil », explique Rémi Portrait, spécialiste de la coupe énergétique et auteur de Vos cheveux disent tout de vous (Albin Michel). Ne gardet- on pas les mèches de nos enfants comme les reliques d’un bonheur déjà perdu ?
Dans le cas où la perte est subie, l’image de soi est altérée et il y une atteinte narcissique. « L’estime de soi et la sécurité d’être bien dans sa peau sont amoindries avec la disparition de nos parures naturelles. » Prenons l’exemple d’un malade atteint du cancer. « La perte des cheveux liée à la chimiothérapie le renvoie à la maladie et par extension à la vieillesse et à la mort », poursuit Sylvie Consoli. Et comme les femmes que l’on tondait à la Libération pour avoir fauté avec l’occupant allemand, cette expérience est vécue comme une punition. Une petite
fille, à qui l’on coupe les cheveux, se sent démunie de sa féminité, ainsi coiffée comme ses frères.
Parfois, il s’agit même d’une autopunition. « On peut être dans l’attaque de sa propre image ou encore dans le trouble du comportement. La trichotillomanie, qui consiste en l’arrachage de ses propres cheveux, peut être une manière de dévier l’agressivité sur soi, plutôt que sur les autres », explique Sylvie Consoli. Quelles que soient les raisons de la perte, elle est toujours assimilée à un traumatisme, pour les hommes comme pour les femmes. « La personne, démunie sa chevelure, a l’impression d’être mise à nu, sans protection », conclut Rémi Portrait.
Patrick Ahmed, l’invité de la rédac’
Les cheveux ne sont pas une coquetterie universelle, mais bien une carte de visite, un rite de passage ou un symbole. Je vous conseille pour aller encore plus loin dans vos recherches sur notre outil de travail qu’est le cheveu : le hors-série Beaux Arts d’octobre et le livre Arts premiers mode d’emplois, de Bérénice Geoffroy Schneiter, spécialiste des arts premiers et de la parure.