Dans un marché en pleine mutation, Gilles Ayral fait figure d’exemple dans le domaine de l’homme. Il a ouvert son premier salon à Rodez en 1994, bien avant l’explosion des barbershops. On l’a cru fou de se lancer dans la coiffure masculine ! Et pourtant, quand la barbe a fait son retour, il a été une référence pour ceux qui ont voulu se former aux méthodes traditionnelles. Employeur exemplaire, il transmet son savoir-faire à ses collaborateurs avec passion et générosité.
La tendance aux cheveux longs ?
Même pas peur pour celui qui maîtrise tous les fondamentaux de la coiffure homme. Aujourd’hui, son salon ruthénois est labelisé Haute Coiffure Française. À cette occasion, Biblond a voulu en savoir plus, sur son parcours, sa vision du marché et de l’avenir. Rencontre avec un maestro des ciseaux et du rasoir.
Bonjour Gilles Ayral, pouvez-vous vous présenter ? Quel est votre parcours dans la coiffure ?
J’ai quarante ans de métier. Dix ans d’apprentissage et de salariat et trente ans en tant qu’entrepreneur. J’ai ouvert mon premier salon à Rodez en 1994 puis, en 2008, mon organisme de formation coiffure homme. En 2019, j’ai ouvert un second salon en périphérie de Rodez avec l’un de mes salariés. Il a des parts dans le salon, à terme, je lui céderai la totalité. J’ai fait de ce schéma mon modèle économique. Si bien qu’en 2022 j’ai reproduit cela avec un autre collaborateur à Val Thorens.
Pourquoi ce choix ?
Parce que je m’attache à mes salariés ! Je crois beaucoup au bien-être au travail. C’est essentiel. Souvent les patrons rouspètent parce que leurs salariés s’en vont alors qu’ils ne leur proposent rien. J’ai 12 salariés. Celui qui est le plus mûr, je lui propose de monter une structure avec moi. Pour qu’il puisse grandir au fur et à mesure. J’ai 55 ans… Bientôt je laisserai tout ! C’est pour cela que j’ai fait un transfert de clientèle et de salariés en périphérie de Rodez. Dès qu’un collaborateur en vaut la peine, s’il en a l’ambition, je lui permets de grandir. Il utilise mon nom et bénéficie de ma réputation.
Vous avez été précurseur en vous lançant dans l’homme à une époque où personne n’y croyait avec votre salon en 1994 puis votre académie en 2008… Vous aviez prédit ce nouvel essor de la coiffure masculine ?
Il est vrai que quand je me suis installé, personne n’y croyait. Mais je suis têtu. J’étais passionné par la coiffure homme, notamment grâce à un de mes anciens patrons qui m’a transmis cet amour du métier. La difficulté a été de trouver des salariés formés à la coiffure homme. Utopiquement, je me suis dit qu’il fallait créer un organisme de formation pour inciter les coiffeurs à se former, leur donner envie et aussi pour relever le niveau. Cela me permettait aussi de recruter des salariés pour mes salons. Au même moment, il y a eu le boum des barbers et j’ai eu beaucoup de demandes. Depuis 2018, ça baisse un peu. Beaucoup de formateurs et de maisons se sont mis à donner des stages coiffure homme et barbe. Alors oui, sans prétention, je peux dire que j’étais en avance sur mon temps.
Face à la fermeture de nombreux salons, certains ne sont pas très optimistes quant à l’avenir. Et vous, comment l’envisagez-vous ?
Je ne suis pas inquiet. Celui qui maîtrise les bases, du rasage à l’ancienne au dégradé à la tondeuse sans sabot, s’en sortira. On a laissé trop de gens s’installer sans diplôme, travailler de manière dissimulée. C’est une chose avérée, il y a du blanchiment d’argent. Une enquête parlementaire l’a confirmé. Et désormais, c’est le BP qui saute ! L’État a décidé de jouer la paix sociale et donc d’uberiser toute une profession. On déscolarise nos jeunes. Le gouvernement précédent avait mis l’accent sur l’apprentissage. C’était positif. Quand je formais des étrangers, ils admiraient la France pour ça. Aujourd’hui, on voit des coiffeurs déposer le bilan. Avant, cela n’existait pas. Est-ce un lien de cause à effet ? Je ne sais pas.
Croyez-vous qu’il soit possible de revenir en arrière ? Que le BP redevienne obligatoire pour ouvrir un salon ?
Je ne crois pas. Cette loi datait de 1946 et on l’a balayée d’un revers de main. Notre métier est en tension et le gouvernement l’a libéralisé pour faciliter le recrutement. Nos syndicats s’étaient battus pour le conserver. Puis la nouvelle gouvernance a accepté. Pourquoi ? À l’avantage des grands groupes ? Je ne sais pas.
Vous ne pouvez pas nier toutefois que les candidats manquent à l’appel…
Je ne suis pas sûr qu’il y ait plus de problèmes de recrutement qu’autrefois. Pour ma part, je n’en ai pas ! Je suis toujours en sureffectif. Comme ça, je n’ai pas besoin de former dans la précipitation si un collaborateur me quitte. Il faut surtout savoir garder ses salariés. En les formant et en offrant un quotidien le plus agréable possible. Mes clients me disent souvent qu’il aime retrouver les mêmes coiffeurs et avec le sourire. J’ai installé la semaine de quatre jours il y a plusieurs années déjà ; cela participe à garder mes salariés. Je les investis et les fais grandir dans nos structures.
Que pensez-vous de la tendance aux cheveux longs ? Vous effraie-t-elle ?
Ceux qui se font appeler « barber », qui coupent au sabot en dix minutes peuvent avoir peur. Mais un coiffeur homme traditionnel n’a aucun souci à se faire. Nous avons une clientèle très hétéroclite, du petit garçon au papi. Notre savoir-faire nous permet de faire une coupe différente à chaque client. Sortir du dégradé américain nous fait du bien. Les cheveux longs contribuent à valoriser le métier. Pas question de faire une coupe standard, avec du 3 mm sur les côtés et du 9 sur le dessus. Mes salariés le savent : chaque client est différent.
Quels conseils auriez-vous à donner aux jeunes qui voudraient faire ce métier ?
Je veux leur rappeler qu’il faut être patient. Il faut quatre à cinq ans pour maîtriser les techniques. Comme on commence avec une guitare classique, il faut entrer dans ce métier en passant par les bases. Prendre le temps de se former pour devenir peu à peu coiffeur homme.
Vous venez de recevoir le label Haute Coiffure Française. Qu’est-ce que cela représente pour vous ?
Il faut savoir que pour l’obtenir il faut être coopté. Un grand coiffeur ruthénois m’avait coopté il y a vingt-huit ans. J’étais très fier déjà à l’époque mais j’étais fauché, et l’adhésion était un peu chère. J’ai toujours regretté. La Haute Coiffure Française, ça « claque », c’est la France, l’élégance, le savoir-faire. Récemment, magie des réseaux sociaux, j’ai réagi à un post de Sarah Guimond, qui m’a proposé d’être labellisé. Après un questionnaire et des visio, j’ai eu le label. Cela coïncidait avec la fin du BP. Je me suis dit que je ne voulais pas me battre contre le système. Mais entrer dans la Haute Coiffure Française, pour moi, c’est tirer la coiffure homme vers le haut. C’est l’école de l’exigence. Mes salariés sont très fiers. Ils ont envie de progresser. Si je peux être un petit acteur pour que la coiffure masculine nationale soit considérée, j’en serai très heureux. J’adore mon métier, je le fais par passion. Si cela peut donner envie aux jeunes d’y venir, c’est une réussite. Il y a des acteurs forts qui œuvrent pour garder la coiffure française à sa place. Et j’espère que cela durera longtemps !