Ruptures de prise en charge, manque de qualité des formations… Pourquoi ça coince ? Quelles solutions se dessinent à la faveur de la nouvelle réforme de la formation ? Biblond fait le point pour les coiffeurs en quatre questions.
« La formation continue, c’est le poumon de notre métier », assène Karine Stipa, directrice de la formation chez Eric Stipa. Tous les coiffeurs le savent : se former, tout au long de sa carrière est indispensable. Si elle permet de se maintenir au niveau, la formation professionnelle permet aussi d’acquérir de nouvelles compétences et de s’ouvrir à de nouveaux marchés, comme l’esthétique par exemple.
« La coiffure est un secteur qui souffre, ajoute Karine Stipa. La formation, c’est un moyen nécessaire pour valoriser notre expertise auprès des clientes, ce qui est indispensable dans le contexte actuel. » Et les coiffeurs se forment. Beaucoup même. En 2013, 35 000 salariés ont bénéficié d’une formation professionnelle. Reste que le système actuel accumule les critiques de la part des coiffeurs.
Pourquoi ça coince ?
« L’an dernier, à partir du mois de septembre, certains de nos clients nous ont informé que l’Agefos ne prendrait pas en charge leur stage… De plus en plus de coiffeurs n’envoient plus leurs salariés en formation : quand on se retrouve avec un stage à 600 euros et que l’on a peu de trésorerie, ça dissuade…, raconte Karine Stipa. Nous avons des plafonds de remboursements, et quand ils sont dépassés ou qu’il n’y a plus de fonds, nous ne sommes pas remboursés ou seulement en partie. Le risque, c’est une coiffure à deux vitesses, avec des salons qui pourront financer la formation de leurs salariés et d’autres qui ne pourront plus suivre… »
Ce qui cristallise les mécontentements ? La rupture de prise en charge. Après une âpre compétition entre Opcalia et Agefos-PME, ce dernier est, depuis 2012, le seul Organisme paritaire collecteur agréé (Opca) désigné pour la branche coiffure. Au début de novembre 2013, l’annonce a été faite que les stages à partir de cette date ne seraient plus remboursés. Donnant l’amère impression aux patrons qui cotisent tout au long de l’année qu’en matière de formation professionnelle « les premiers arrivés sont les premiers servis ».
Si des transferts d’Opcalia à Agefos ont pu entraîner des difficultés de remboursements, la principale raison de ces ruptures de prise en charge est simple : la totalité des demandes exprimées ne peut pas être couverte. Laurence Carlinet, directrice du développement de l’Agefos-PME explique : « La contribution moyenne des entreprises est assise sur la masse salariale. Or, la branche coiffure compte près de 29 000 entreprises de moins de 10 salariés. La collecte des 31 000 entreprises de la branche représente 4,5 millions d’euros. Le montant des engagements est de 16 millions d’euros, soit près de quatre fois plus… »
Pendant longtemps, la coiffure a en effet bénéficié des financements de la part d’autres branches qui n’utilisaient pas leur budget de formation. Pierre Szlingier, secrétaire général adjoint du Cnec, identifie d’autres raisons à ces ruptures de prises en charge. « Pour la première fois en 2012, la branche est passée sous le seuil des 100 000 salariés alors que les fonds disponibles dépendent de la masse salariale. L’État prend également une partie de ces cotisations au titre du Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels. Si ces prélèvements étaient de 10 % en 2011 et 2012, ils sont passés à 13 % en 2013. »
Que va-t-il se passer pour 2014 ?
Alors qu’une réforme de la formation professionnelle va être votée à la fin du mois à l’Assemblée nationale, les partenaires sociaux se veulent optimistes pour cette nouvelle année. « Ce qui est certain, c’est que la masse salariale ne va pas augmenter, souligne Pierre Szlingier.
En revanche, les prélèvements de l’État vont se maintenir à 13 %. Nous pensons qu’il est possible de prévoir et d’anticiper pour assurer l’équité entre les coiffeurs. » De nouveaux critères de prises en charge, plus restrictifs,ont été décidés en septembre dernier, la prise en charge passant de 25 à 23 euros de l’heure pour les formations techniques.
Le plafond pour les entreprises comptant 1 500 pour les salons comptant 3 à 4 salariés et de 2 500 à 2 200 euros pour ceux de 5 à 9 salariés. « Il faut que l’on consomme à hauteur de nos cotisations, assure Pierre Szlingier. Mieux vaut baisser de quelques euros les prises en charge et permettre à tous d’accéder à la formation. » À partir du 1er janvier, les entreprises ne peuvent plus déposer un plan de formation sur l’année, elles doivent le faire par trimestre. « C’est une façon de sécuriser les financements et de les garantir toute l’année », assure Hélène Quénehervé, conseillère grands comptes et branche à l’Agefos-PME.
Plus de qualité ?
Le corollaire de cette recherche d’efficacité ? La qualité. Si l’offre de formation est extrêmement importante, il y a un besoin de rationalisation. « Nous constatons que beaucoup de coiffeurs se prétendent formateurs, souligne Karine Stipa. Il faudrait plus de contrôles. »
Si le certificat de qualification professionnelle Manager de salon de coiffure bénéficie d’un label, pas sûr pour autant que la mise en place d’un label pour assurer de la qualité des autres formations se fasse. « Nous devons attendre que le projet de loi soit voté, expose Hélène Quénehervé. Il y a une demande pour la labellisation, mais il ne faut pas rompre avec le principe de libre concurrence qui régit le secteur de la formation professionnelle. »
Une avancée toutefois, les formations dispensées sur site ne sont plus prise en charge. « C’est logique : un coiffeur formé en salon va s’interrompre pour s’occuper de sa cliente. C’est très difficile du coup de contrôler et d’assurer un retour sur ce qui a été acquis », précise Pierre Szlingier.
Vers une nouvelle logique de la formation ?
La réforme de la formation votée à la fin de février prévoit de supprimer une partie des cotisations pour les entreprises de plus de dix salariés. « Alors qu’on vient à peine de mettre en musique la dernière réforme, ce nouveau texte risque de désorganiser les choses, râle Pierre Szlingier.
Il y a une quasisuppression de l’obligation de cotiser pour les entreprises de dix salariés. L’un des risques est que les entreprises de plus de dix salariés vont devoir financer elles-mêmes leur formation… Mais au-delà des changements, peut-être est-il temps de reconsidérer la logique de la formation. « Pendant longtemps, nous n’avons pas eu un regard objectif sur la formation professionnelle, en ayant l’impression qu’elle ne coûtait pas beaucoup, conclut Pierre Szlingier. Aujourd’hui, la branche doit former mieux avec moins d’argent. » Et du côté des coiffeurs, il s’agit de ne plus « se former pour se former » mais de mieux cibler ses attentes, ses objectifs…
« Nous sommes actuellement confrontés au fait que la notion de formation a perdu son sens premier, explique Olivier Dufresnes de Saco Academy, qui axe ses formations sur le besoin d’apprendre et la curiosité. Se former, c’est avant tout avoir la chance d’accéder au savoir, d’élargir son champ de connaissances. Si l’on présentait la formation ainsi, on susciterait une motivation plus grande parmi les coiffeurs. »
L’avis de Thierry Deschemin
J’aime me tourner vers la jeune génération pour les stages innovants et autres formats de formations plus ponctuelles. N’ayant pas de salarié, je ne suis pas confronté à la problématique de gestion de la formation, mais il semble essentiel pour tous de se former dans les bonnes conditions et pour les bonnes raisons !