L’édition 2024 du festival de BD, Quai des Bulles, s’est tenue à Saint-Malo du 24 au 26 octobre. A cette occasion, la scénariste et dessinatrice Lou Lubie, originaire de la Réunion, a reçu le prix Ouest-France pour sa BD, Racines, déjà récompensée par le Prix Ti Zef à Brest en Bulle et du Prix Région Centre-Val de Loire / BD Boum.
Les 9 membres du jury ont été conquis par son héroïne, Rose, tiraillée entre deux cultures, celle à laquelle elle voudrait appartenir et celle que ses cheveux crépus trahissent, prête à tout pour se conformer à une société qui rejette la différence. « A la base, je me suis rendue compte que j’avais moi-même une histoire chargée avec mes cheveux » nous confie l’autrice, qui explore, depuis 2010, des sujets très actuels dans ses romans graphiques. « J’ai donc eu envie de parler de cette problématique mais pas de manière autobiographique. Rose a les cheveux crépus, les miens sont frisés. J’ai donc fait appel à des témoignages auprès de ma communauté sur Instagram (@loulubie). Je me suis beaucoup documentée. Finalement, j’ai compris que j’avais là un sujet de grande ampleur, qui me dépassait » poursuit-elle.
Des témoignages qu’elle a reçus, elle a nourri sa BD d’anecdotes inspirées de vraies expériences. « Elles agrémentent la vie de Rose, jeune femme réunionnaise aux cheveux crépus que l’on suit de ses 4 à 27 ans » précise l’autrice. « Elle déteste ses cheveux. Elle les aurait préférés lisses. Ce phénomène s’accentue quand elle arrive en métropole pour ses études. Son rapport avec ses cheveux, donc ses origines qu’elle essaie d’effacer pour se conformer à une norme est une lutte permanente. »
En racontant les aventures capillaires de Rose, de coiffure en coiffure, c’est un véritable ouvrage pédagogique qu’elle a écrit. Au fil de sa quête d’identité, l’héroïne, drôle et attachante, se confronte à des discriminations sexistes et racistes, « à l’Histoire qui lui a donné ses racines métissées » lit-on sur le site de Lou Lubie.
Résultats ?
Au-delà de la reconnaissance des professionnels du roman graphique et de la BD – Racines fait partie de la sélection Prix Fnac France-Inter 2025 -, l’autrice a reçu de nombreux retours de femmes qui se sont reconnues dans son personnage. « Cela concerne beaucoup de monde, finalement, dans une société de plus en plus métissée. Mes lectrices me disent qu’elles ont l’impression de lire leur propre histoire » note-t-elle.
C’est aussi sa propre histoire qu’elle raconte. « J’ai vécu des expériences traumatisantes. Pendant longtemps, je me suis défrisée les cheveux. Quand j’ai décidé de les garder au naturel, je me suis confrontée à des salons qui refusaient de s’occuper de ma chevelure. D’autres acceptaient sans savoir s’occuper des cheveux frisés. Une coiffeuse, dont la fille est métisse, m’a même dit que je n’avais pas de chance d’avoir des cheveux comme ça ! »
Par chance, Lou Lubie a fini par se réconcilier avec sa chevelure. « Je la porte au naturel la plupart du temps. De temps en temps, je fais des tresses, j’aime leur côté sophistiqué. J’ai réalisé que je pouvais jouer avec mes cheveux et même en faire de très belles choses » poursuit l’autrice.
Constate-t-elle une évolution de la société face aux cheveux texturés ?
« Oui mais pour l’instant, cela vient des femmes. Des influenceuses et des stars se sont emparées du sujet, donnant l’exemple et invitant les femmes à se réconcilier avec leurs boucles. Certes, il y a désormais un diplôme d’état dédié mais il reste facultatif. Certes il a le mérite d’exister et de faire avancer les choses… Mais il y a encore du travail » conclut celle qui a fondé en 2008 le Forum Dessiné, un site communautaire qui a accueilli par moins de 3000 dessinateurs et 350 000 dessins.
Pour en savoir plus, www.loulubie.fr