Après avoir surfé sur les différences ethniques (voir le dossier de la tendance ethnique), salons de coiffure et fabricants tentent le jeu du marketing générationnel qui consiste à adapter l’offre et le discours à chacune des générations de clients. Si la stratégie est plutôt judicieuse, elle a aussi ses limites.
On ne va pas chez le coiffeur pour les mêmes raisons à tous les âges. Quand les plus jeunes estiment que la chevelure est un atout de séduction ou d’identification, leurs aînés, les baby-boomers, pénètrent dans un salon dans le but de rajeunir leur image et rester dans le coup, au bureau et en société. Les plus âgés, la silver génération, s’octroient une pause beauté pour entretenir ce corps vieillissant. Mais pas seulement !
Souvent seules et isolées, les personnes âgées profitent de ce lieu d’échange pour conserver un lien social. Si les motivations ne sont pas les mêmes, toutes les générations se retrouvent chez le coiffeur et la plupart des salons demeurent généralistes. Pourtant, le discours marketing actuel vise à cibler par tranche d’âge. Il n’y a qu’à voir les gammes et campagnes publicitaires proposées par les marques. Wella propose notamment une ligne Âge destinée aux cheveux matures, pendant que Schwarzkopf joue aussi sur le soin antiâge avec BC Bonacure. Avec Kérastase Cristalliste, L’Oréal ose un packaging rose glamour qui conquerra les adulescentes et jeunes trentenaires.
Côté publicité, le message, dynamique et positif, s’adresse aux jeunes de la génération Y ou Z, d’autres concentrent leur énergie pour séduire les baby-boomers, bien souvent plus aisés. (cf. : Quand les marques se positionnent). Cette stratégie qui consiste à répondre aux attentes d’une génération, de plus en plus de patrons sont tentés de l’appliquer pour faire rayonner leur salon, recruter ou fidéliser une clientèle.
Habitudes de consommation et budgets hétérogènes
Frédéric Serrière,* expert et conférencier sur les impacts du vieillissement démographique, est formel. Un coiffeur a tout à gagner en attirant dans son salon la génération des 50-65 ans qui a le plus haut pouvoir d’achat, donc consomme davantage. Pas étonnant de voir fleurir des salons au luxe discret, adapté au niveau de vie des baby-boomers. D’autres sont plus branchés – musique à pleins tubes, coiffeurs stylés et prix défiant toute concurrence – là où se précipitent les plus jeunes. Si leur budget n’est pas le même, les baby-boomers et les 18-25 ans ont la fièvre acheteuse. « Si vous souhaitez les fidéliser, il faut leur offrir un choix entre plusieurs soins. Cette liberté de choix fait partie de leurs valeurs communes », souligne l’expert. Les seniors, qui attendent d’être guidés, se contenteront d’une seule gamme. Enfin, la génération X appréciera qu’on lui propose une carte de fidélité pour toute la famille. Des
différences qui prouvent l’intérêt de former les jeunes coiffeurs à interagir selon chaque génération. Car même les sujets abordés derrière le bac ont leur importance.
« Vous avez vu le dernier selfie de Beyoncé ? » ou l’art d’adapter son discours
On parlera des potins de Closer ou de telle vidéo qui fait le buzz avec les plus jeunes, tandis que les seniors s’épancheront aisément sur la famille et les petits enfants. Les baby-boomers, qui se sentent encore jeunes, apprécieront d’être confortés dans cette image dynamique. Pas question de les comparer à leurs aînés les seniors ! Chaque génération se sentira mieux comprise et plus à l’aise avec un discours adapté. La décoration aura aussi un rôle primordial. Teinté d’une aura vintage, entre meubles chinés et codes sixties, le salon, qui surfe sur les tendances de la mode, attirera les jeunes. Mais certainement pas les baby-boomers qui préfèreront la sobriété. Qui a envie de se rappeler un temps où il était plus beau et plus leste ? Les seniors seront sensibles à un salon aménagé pour leur confort, où accessibilité et praticité règnent. Les miroirs ne sont pas trop loin pour qu’ils puissent s’observer pendant la coupe – rappelons qu’une grande majorité des plus de 50 ans portent des lunettes –, les haut-parleurs placés de manière à ce qu’ils entendent la conversation, les sièges confortables… Autant de détails qui font toute la différence, mais qui doivent s’inclure dans le salon.
Les limites du salon générationnel
Certes, s’offrir une clientèle jeune et belle ou séduire des femmes au budget élevé peut être attirant. Pourtant, notre expert préconise la mixité des générations. Même Toni&Guy n’assume pas l’image de salon pour jeunes, se revendiquant celui des leaders d’opinion et de la mode. « Le salon ne doit pas devenir un “ghetto” pour vieux ou pour adolescents. Les baby-boomers ne souhaitent pas se retrouver entre eux. Dans une société du jeunisme, la ride n’est pas sexy », souligne Frédéric Serrière. Il n’y a qu’à observer les campagnes visant les seniors. Les affiches mettent en scène toute la famille. Les petits-enfants sont là pour rappeler aux grands-parents qu’ils sont toujours dans le coup. De la même manière, un salon coloré où est diffusé Skyrock à fond refroidira les baby-boomers, mais aussi les plus jeunes qui ne veulent pas être traités comme tels. Le succès des grandes enseignes ne se joue-t-il pas sur un marketing intergénérationnel qui adapte le discours à toutes les tranches d’âge ? Bien souvent, l’ambiance zen, le look sobre des coiffeurs et le mélange des générations mettent tout le monde d’accord.
*Auteur de 60 Stratégies pour cibler les Boomers, Conquérir le marché des seniors et Conquérir le marché des baby-boomers