Longtemps délaissée par la profession, la coiffure pour hommes suscite de nouvelles vocations. Et pour cause ! Ces messieurs prennent de plus en plus soin d’eux. État des lieux d’un marché florissant.
Le salon de coiffure pour hommes est le seul endroit qui leur reste depuis que les femmes ont envahi les bars », plaisante le patron d’Alex Haircut’s Barbershop. Son carnet de rendez-vous affiche complet. Elles seraient donc là les raisons de cet engouement pour la barbe ?
Permettre aux hommes de s’octroyer une demi-heure de détente, entre garçons, sans se sentir touchés dans leur virilité ? Plaisanterie mise à part, il est évident que ces messieurs prennent de plus en plus soin d’eux. Il n’y a qu’à observer les rayons et les gammes cosmétiques qui leur sont dédiées. Mais comment expliquer ce phénomène ? Pour Gilles Ayral, dont le salon à Rodez ne désemplit pas, cette tendance de fond s’est déclenchée il y a une dizaine d’années. « Avec l’arrivée du “métrosexuel” dans les années 2000, puis le retour de la barbe, on s’est rendu compte que l’homme était prêt à payer pour se faire coiffer en moyenne dix fois par an ! Il prend ses rendez-vous et n’hésite plus à acheter tous les produits pour entretenir son look. »
Or, peu de salons peuvent combler ses attentes et s’enorgueillir de devoir refuser des rendez-vous. « Longtemps, on a pris les hommes pour la dernière roue du carrosse, on estimait qu’ils consommaient peu et on les a délaissés. Un apprenti passait 80 % de son temps à la coiffure dame. Si bien qu’aujourd’hui nous sommes de moins en moins nombreux à maîtriser les techniques de la coiffure masculine. C’est un marché porteur désormais, donc les salons spécialisés cartonnent. »
Un savoir-faire rare…
Rappelons-le : l’épreuve de rasage a été totalement effacée des épreuves du Brevet professionnel dans les années 1980 pour ne revenir qu’en 2012 de manière optionnelle ! « C’est un peu absurde de la part de la chambre des métiers, qui n’a pas su anticiper son retour. Comme si les hommes n’allaient plus porter de barbe », relève Eric Léturgie, dont le service barbier dans son centre de formation est très prisé. Si bien que face à la demande accrue de ce savoir-faire spécifique à l’homme, ils sont une poignée à maîtriser ces gestes quasi chirurgicaux.
Sarah Daniel Hamizi, la seule femme barbier de Paris, auteure de Barbes et Moustaches, comment les tailler au poil !*, regrette de devoir former ses nouvelles recrues. « Il faut reprendre toutes les bases, donc quatre mois pour un coiffeur pour homme, un an pour un coiffeur mixte ! » Pour pallier ce manque de personnel qualifié, les experts ouvrent leurs propres écoles.
En 2008, Gilles Ayral a créé son organisme de formation. Un succès ! La même année, l’Institut national formation coiffure (INFC), centre de formation professionnelle de la Fédération nationale de la coiffure, anticipait cette tendance du soin et de la beauté de l’homme en proposant son premier stage barbier. Aujourd’hui, 300 professionnels en ont profité. L’idée fait son chemin. Lors du dernier MCB, Coopéré levait le voile sur son nouveau concept, le Barber Corner (voir interview).
Une vision différente de l’homme
Maître barbier, Anthony Galifot, qui enseigne selon quatre niveaux, constate aussi un engouement exponentiel. En deux ans, il en a vu passer des coiffeurs, qui voulaient mettre le service en place dans leur salon selon un protocole rigoureux. « Mais il ne s’agit plus simplement de rasage. Les clients viennent surtout pour une vision différente de l’homme. Ils veulent être regardés dans leur ensemble.
On doit accompagner le client dans son image et son identité, créer un personnage, une atmosphère, sans se baser sur sa seule morphologie. » Car l’homme de 2014 n’est pas le même que son père ou son grand-père. Un changement de mentalité à ne pas négliger… « Avant, les clients venaient par nécessité le dimanche matin et ne se rasaient pas de la semaine. Puis ils allaient étrenner la barbe en déposant un baiser sur les lèvres de leur épouse. Aujourd’hui, ils sont dans le plaisir, plus sensibles à l’esthétique et au soin de la peau », souligne Jacques Vauthier, le Barbier de Trouville, cinquante ans de carrière.
Un panier moyen de plus en plus élevé
Outre une technicité de haute précision, les hommes d’aujourd’hui semblent aussi vouloir s’octroyer un moment juste à eux. Et le salon de coiffure demeure le seul espace qui leur est dédié. Le consommateur moderne serait donc prêt à débourser pour s’offrir ce plaisir ? « Ils font des petits sacrifices. Un client m’a dit un jour qu’il avait arrêté d’acheter des BD pour une visite mensuelle chez moi, qui inclut le diagnostic, les conseils et le suivi », raconte la Barbière de Paris. Il semblerait donc que l’homme soit prêt à payer plus cher pour s’offrir un service de qualité… S’ensuivent les dépenses liées à l’entretien. Et là non plus le client n’hésite plus à investir dans le matériel et les produits qui lui donneront le poil soyeux. Parmi les best-sellers, la gamme American Crew, lancée par David Raccuglia en 1999, précurseur dans le renouveau de la beauté masculine. Notons aussi la marque française (cocorico !) Défi pour homme, qui séduit les clients du Corner Barber développé par Coopéré. « Du sérum pour la souplesse à l’huile de prérasage pour les contours, du masque à la pince à épiler, la barbe génère de nombreuses ventes », poursuit Sarah Daniel Hamizi. Résultat ? La fiche moyenne s’élève à 50 euros pour la taille d’une barbe, épilation des pommettes et des oreilles incluse, et peut monter à 120 euros quand le client s’équipe lors de la première visite. En province, à Rodez, Gilles Ayral table sur 30 euros pour le panier moyen.
L’homme, un pari sur l’avenir
Commerce juteux que celui du poil ? Si le phénomène de la barbe va s’altérer, les experts sont unanimes : ils sont sereins pour le futur. Les hommes, ayant pris de nouvelles habitudes, ne reviendront pas en arrière. « Certes, le temps d’adaptation est plus lent que chez la femme, qui change de look chaque saison, mais je suis certain qu’ils seront bientôt prêts à passer le cap des colorations. On a bien réussi à leur faire pousser la barbe », parie Cyrill Hohl, star de la coiffure masculine. D’ailleurs, ce créateur influent est formel : dans son salon, un tiers des hommes s’offrent un service technique, coloration, barbe ou défrisage en sus de la coupe ! Enfin, l’expert rappelle que les hommes sont des clients plus fidèles que les femmes, qui, elles, n’hésitent pas à changer de « crèmerie » selon la tendance du moment. « Un homme content, c’est-à-dire à qui le coiffeur explique comment entretenir sa coupe, reviendra. »
Ainsi, le coiffeur a un vrai rôle d’éducation à jouer. Lui apprendre à se servir des produits, par exemple, est un service en plus que Monsieur appréciera s’il est concret et si les résultats sont probants au quotidien. Pour conclure, Anthony Galifot appelle à observer les adolescents. Ces futurs hommes affichent des looks ultrasoignés qui nécessitent entretien et soins adaptés. Cette jeune génération, si attentive à son allure, n’aura aucun mal à pousser la porte d’un salon aussi souvent que ça lui chante.
*Collection Larousse Attitude
Bruno Lehmann – En page d’accueil.